Sunday, 29 June 2008

BOOK I, 'Society Saved' 11

I
I know they will speak wicked lies without number
To wash their hands clean from Truth, staining and somber,
They’ll swear it’s not so, ‘wasn’t my fault—was his one’
But Aeschylus, Dante, you prophets all know it:
........The wicked never escape a poet,
Never, whether collared or grabbed by the wrist. And
The ledger of Mercy is closed to ... complicity;
........I have put bars on history.
........Today, History is a prison.

Time’s gone when a poet could just pray, be a dreamer: he
Now holds all keys to the Conciergerie.
Should you-know hold Court, hang our necks with his chains
We'll keep Pocket Princeling in view (like a joker)
........And the Emperors at his shoulder—
Macbeth is a swindler; Caesar only feigns.
You’re guarding these prisoners, my winged strophés!
........The stars are Calliope’s
........They log the convicts’ names

II
O people in tears! Though you cry for revenge, all
These frigid old rhetors say Verse is an Angel
It should ignore Fould-Magnan-Morny-Maupas, flies
Instead joying up to watch night’s calm fulfilled …—
........No! then we’d share the guilt
For crimes on the march, whose step I synchronise,
Since you’d veil men’s view of these wickedest ones,
........Azure skies, stars, suns,
........Shan’t occupy my eyes!

Since a beggar can silence your speeches’ true worth,
Since liberty tumbles and sprawls on the earth
Falls like a girl’s corpse, a woman new-drowned,
Since prison-ships echo with dying men’s cries
........I will have tomb-clear eyes
For those heads a bandit’s compelled to bow down
I will sing: rise, my people! O Heavens, roar, fight,
........France, in the depths of night
........See my flaming brand!

III
These crooks that would try to turn France into China
They’ll soon hear my lash cracking down on their spine. A
Te Deum they’re singing? I will cry Memento!
I’ll scourge all the men, the deeds, the names and titles
........Those with swords, those mitres
My verse is a vice, and in that they’ll be pent, all.
We will see them fall: surplice, prayer-books, epaulettes,
........And Caesar, under my stirrups
........Saving himself, rolling up his mantle.

And fields, meadows, plains, and the flowers and lakes
The clouds floating by that resemble wool-flakes
The sea that sets bladderwrack and seaweed streaming
The Ocean, enormous, like a green-scaly hydra,
........The forest with Rumour inside her.
The lighthouse on waters, the mountain star's gleaming,
Recall me to me: tell me, quietly, with passion:
........A vengeful spirit is passing
........Driving before it demons!


I
Oh! je sais qu'ils feront des mensonges sans nombre
Pour s'évader des mains de la Vérité sombre,
Qu'ils nieront, qu'ils diront: ce n'est pas moi, c'est lui.
Mais, n'est-il pas vrai, Dante, Eschyle, et vous, prophètes?
Jamais, du poignet des poëtes,
........Jamais, pris en collet, les malfaiteurs n'ont fui.
J'ai fermé sur ceux-ci mon livre expiatoire;
........J'ai mis des verrous à l'histoire;
........L'histoire est un bagne aujourd'hui.

Le poëte n'est plus l'esprit qui rêve et prie;
Il a la grosse clef de la conciergerie.
Quand ils entrent au greffe, où pend leur chaîne au clou,
On regarde le prince aux poches, comme un drôle,
........Et les empereurs à l'épaule;
Macbeth est un escroc, César est un filou.
Vous gardes des forçats, ô mes strophes ailées!
........Les Calliopes étoilées
........Tiennent des registres d'écrou.

II
Ô peuples douloureux, il faut bien qu'on vous venge !
Les rhéteurs froids m'ont dit : Le poëte, c'est l'ange,
Il plane, ignorant Fould, Magnan, Morny, Maupas ;
Il contemple la nuit sereine avec délices...—
........Non, tant que vous serez complices
De ces crimes hideux que je suis pas à pas,
Tant que vous couvrirez ces brigands de vos voiles,
........Cieux azurés, soleils, étoiles,
........Je ne vous regarderai pas!

Tant qu'un gueux forcera les bouches à se taire,
Tant que la liberté sera couchée à terre
Comme une femme morte et qu'on vient de noyer,
Tant que dans les pontons on entendra des râles,
........J'aurai des clartés sépulcrales
Pour tous ces fronts abjects qu'un bandit fait ployer ;
Je crierai : Lève-toi, peuple! ciel, tonne et gronde!
........La France, dans sa nuit profonde,
........Verra ma torche flamboyer!

III
Ces coquins vils qui font de la France une Chine,
On entendra mon fouet claquer sur leur échine.
Ils chantent :
Te Deum, je crierai: Memento!
Je fouaillerai les gens, les faits, les noms, les titres,
........Porte-sabres et porte-mitres;
Je les tiens dans mon vers comme dans un étau.
On verra choir surplis, épaulettes, bréviaires,
........Et César, sous mes étrivières,
........Se sauver, troussant son manteau!

Et les champs, et les prés, le lac, la fleur, la plaine,
Les nuages, pareils à des flocons de laine,
L'eau qui fait frissonner l'algue et les goëmons,
Et l'énorme océan, hydre aux écailles vertes,
........Les forêts de rumeurs couvertes,
Le phare sur les flots, l'étoile sur les monts,
Me reconnaîtront bien et diront à voix basse
........C'est un esprit vengeur qui passe,
........Chassant devant lui les démons!


Jersey. 13 novembre 1852

Thursday, 26 June 2008

BOOK I, 'Society Saved' 10: Song

Courtesans, here at this orgy-like feast
With your mouths full of laughter—you’re thirsty at least!
You celebrate Caesar (grand man, thoroughbred)
With drink, though apostate from all you revere,
Your cup filled with Cyprus, your glass with despair…—
…….Eat! Me, I prefer
…….Truth’s hard bread.

Sir Sharedealer-thief, Mr Banker-who’ll-twist-us
Glad eaters at Chevets—blobs, rascals, rich-listers
You pals of Jew Fould and that Greek Maupas guy,—
Lock the weeping poor outside the trades-entrance there;
Let your guts hang out, live it up, be of good cheer …—
…….Eat! Me, I prefer
…….Integrity’s bread, though dry.

Opprobrium’s a leper, and Crime’s like a sore.
Hey soldiers! You're down from Montmartre once more
Gouts of wine mixed with blood spurting onto your clothes;
Sing! The table’s rich at the école militaire
The feast steams—so toast! booze! and—fall off your chair…—
…….Eat! Me, I prefer
…….Glory’s wholemeal loaves.

You people from up-town: I’d say you’re sublime.
Today you possess (though enslaved by your crime)
More cash in your pocket, less pride in your head.
You’re off, chains on necks, glad with drink, to the barrier
Salary, Yay! you sing: Long Live the Emperor!…—
…….Eat! Me, I prefer
…….Liberty’s black bread.


Chanson

Courtisans! attablés dans la splendide orgie,
La bouche par le rire et la soif élargie,
Vous célébrez César, très bon, très grand, très pur ;
Vous buvez, apostats à tout ce qu'on révère,
Le chypre à pleine coupe et la honte à plein verre…—
Mangez, moi je préfère,
Vérité, ton pain dur.

Boursier qui tonds le peuple, usurier qui le triches,
Gais soupeurs de Chevet, ventrus, coquins et riches,
Amis de Fould le juif et de Maupas le grec,
Laissez le pauvre en pleurs sous la porte cochère,
Engraissez-vous, vivez, et faites bonne chère…—
Mangez, moi je préfère,
Probité, ton pain sec.

L'opprobre est une lèpre et le crime une dartre.
Soldats qui revenez du boulevard Montmartre,
Le vin, au sang mêlé, jaillit sur vos habits;
Chantez : la table emplit l'Ecole militaire,
Le festin fume, on trinque, on boit, on roule à terre…—
Mangez, moi je préfère,
O gloire, ton pain bis.

O peuple des faubourgs, je vous ai vu sublime.
Aujourd'hui vous avez, serf grisé par le crime,
Plus d'argent dans la poche, au cœur moins de fierté.
On va, chaîne au cou, rire et boire à la barrière.
Et vive l'empereur ! et vive le salaire !...—
Mangez, moi je préfère,

Ton pain noir, Liberté.
Jersey. Décembre 1852

Wednesday, 25 June 2008

BOOK I, 'Society Saved' 9: Art and the People

I
Art is glory and delight
In the tempest, flaming bright,
It makes blue skies glow.
Art, a universal grace
Shining on the people’s face
The star upon God’s brow.

Art, a lovely pastoral
To make the glad heart peaceful,
The city tells it to the woods,
Man speaks it to his mate,
The soul’s voices vibrate,
Singing in brotherhood!

Art is thoughtful and humane,
It will shatter every chain
Art, the victor’s sweet checkmate!
Rhone and Tiber flow to this sea
Art makes the enslaved free
The free it makes great!

II
O, good, invincible France,
Sing out your peaceful chants!
Sing, and watch the skies!
Your profound joy is heard
As hope around the world
Brother-peoples—arise!

Good folk, hymn the rising sun!
Sing again when evening comes!
Work gives you your gaiety.
Laugh at the age now gone!
Sing of love in a bass tone,
Always raise up liberty!

Sing of sacred Italy
Of the Polish slavery
Naples’ one blood, red and pure
Hungary and her suffering …
O tyrants! Hear the people sing:
A mighty lion’s roar!


L’Art et le Peuple

I
L'art, c'est la gloire et la joie.
Dans la tempête il flamboie;
Il éclaire le ciel bleu.
L'art, splendeur universelle,
Au front du peuple étincelle,
Comme l'astre au front de Dieu.

L'art est un champ magnifique
Qui plaît au cœur pacifique,
Que la cité dit aux bois,
Que l'homme dit à la femme,
Que toutes les voix de l'âme
Chantent en chœur à la fois!

L'art, c'est la pensée humaine
Qui va brisant toute chaîne!
L'art, c'est le doux conquérant!
A lui le Rhin et le Tibre!
Peuple esclave, il te fait libre ;
Peuple libre, il te fait grand!

II
O bonne France invincible,
Chante ta chanson paisible!
Chante, et regarde le ciel!
Ta voix joyeuse et profonde
Est l'espérance du monde,
O grand peuple fraternel!

Bon peuple, chante à l'aurore,
Quand le soir vient, chante encore!
Le travail fait la gaîté.
Ris du vieux siècle qui passe!
Chante l'amour à voix basse,
Et tout haut la liberté!

Chante la sainte Italie,
La Pologne ensevelie,
Naples qu'un sang pur rougit,
La Hongrie agonisante…—
O tyrans! le peuple chante
Comme le lion rugit!

Paris, 6 novembre 1851

Tuesday, 24 June 2008

BOOK I, 'Society Saved' 8: To a Martyr

From the Annals of the Propagation of the Faith: “A letter from Hong Kong (China), dated 24 July 1852, informs us that M. Bonnard, missionary at Tong-King, was decapitated for the Faith, last 1st May. This new martyr was born in the diocese of Lyon and was a member of the Society of Foreign Missionaries. He left for Tong-King in 1849.”

.I.
Saintly priest! Great soul! Oh! I kneel! Young as
He was, and with many more years here among us—
…….((How many, how can man know?)
Yet though at that age when happiness is highest
He thought higher still of his Lord Jesus Christ
……. Who shines bright in the shadow.

Saying: “Progress and Love are the names of my God
And my Jesus’ face is the day, smiling broad
…….Upon those who eschew him.
He died for us; I’ll die for him, though alone;
From his tomb, as I shoulder his burial stone,
…….He’s softly calling me to him.

He teaches us heaven’s half-open: he guides
All of us hand-in-hand with a fatherly pride:
…….In Him we live—we are we;
The gaolers are home in their beds and all dozing
Whilst He steals the keys to the cells we are closed in
…….Sets the prisoners free.

There is, far from here, other peoples—our kin—
Who don’t understand this, who live in their sin
…….Crawl in chains—suffer doom—fall;
They make tenebrous efforts to discover God
They struggle in vain; they resemble the dead
…….Blindly groping their tomb-wall.

They lack law, have no goals, no guide, therefore they err;
They are wicked, because they are ignorant; were
…….Passed over when truth first spread.
I’m going! To save them I’ll leave Christian land
O Brothers, I’m bringing you God in my hand,
…….I am bringing you my head!’

Priest, we remember in these troubled days
What He told his followers: go you each your ways
…….Brave the butchers and snares.
Remembering Christ and his crowning farewell
Brothers, love one another! In love you will heal
…….Wounds my body bears.

It is said it’s a good thing to shine in the dark
These stray ones live so far from progress’s spark
…….Their souls are veiled and barred;
So he travelled through the winds and across the salt flood
To black scaffolds, to headsman-blocks covered in blood
…….His eyes fixed on the stars.

.II.
Those to whom this apostle went have cut his throat.

.III.
Oh! you’re down there amongst those savage shunned-ones
And your heavy limbs have been spread on the rack
The headsman, arranging his blades and his truncheons
Scrapes nails on the block where your blood stains it black;

Oh, Heavens! Now dogs come to lap up the blood
And rapidly buzzing, the flies all comes flocking
To crawl through the door of your mouth in the mud
And drone at the sun in your empty eye-socket;

Now you’re broken and voiceless, they’ve cut off your eyelids,
Your whitened head lies in the pit where it dropped
Affronted, hacked up by the stone axe that sliced it,
Hey! Martyr! Behind you! They’re selling your God!

Of course it’s our God, not just yours, that they’re stealing
Shipped to Mandrin—this God that your life ended for
You’re in your shroud; meanwhile they’re double-dealing
So they can be cardinals, or senators.

Priests who want palaces, carriage-and-horses
And plush summer gardens beneath bluer skies
To silver their mitres and gold-plate their crosses
To drink the best wine, by the best firesides.

Like a pirate, their hands are fair reeking with blood!
Like thieves, rich and grinning, their souls are cut-priced
O dear priest—please come home, though you're lacking your head!
They’re selling off Christ! They’re selling off Christ!

These bandits will grab, for a few sacks of cash,
The Gospel, the Law, God’s own altar sublime
And Justice, her fair eyes sharp and unabashed,
And Truth itself too, starry heart of mankind.

Good men must be killed, or locked up, no reprieve,
The honourable man? Scylla bans him: it’s exile.
The innocents get their throats cut; widow’s grief
And the tears of the orphan are both put up for sale.

Everything! Faith, oath, God’s own sanctity
The temple, where you said Introibo ... and died;
They’re selling it all—virtue and modesty
Re-open your eyes shining with the tomb’s light.

They’re selling the Ark where the Host itself gleams!
They selling off Christ, I say, trussed-up with bands!
They’re selling the sweat that poured from him in streams
And the nails in his feet; and the nails in his hands!

They sell to a brigand who (for his part) whirs them
These slant men of trade, the great Crucified One
They’re selling his speeches, and his great martyrdom
Yours too, brave priest, where the trading is done.

So much for the whipping, the pain he went through there
So much for the stone that was hurled at his head
Caesar! So much for amen, or for hallelujah
So much for the rag that wiped his beard's spilt red.

They’re selling his bruised knees, his palm-leaf of green,
The wound in his side, his eye’s infinite stare
His tears and his pain, his half-open mouth’s scream
His Lamma Sabactini cry of despair

They’re selling the sepulchre—selling the gloom
The angels who sing on the edge of deep skies
And, beneath branches, his mother, her funeral arms
Who in sensing her son is near, lowers her eyes.

Yes, they’re selling—these bishops and tradesmen and priests—
To this Thespian of crime, self-appointed ad hoc,
To this Nero who laughs with his treacherous beasts
Kicking Thraseas with foot, poking Phryne with his—elbow.

To this thief who has bludgeoned the Law with a Cross
To this emperor-pirate, Napoleon the Final, who's
Twice drunk, more abject than he ever was fierce
Pig in filth—and a wolf in the world's charnel-house.

They’re selling, O Martyr, God—pensive and white
He who stands on the earth and beneath the bright stars
Sadly smiling on us, through our long fatal night
In this endlessly blood-soaked and black Golgotha.


À un martyr

On lit dans les Annales de la propagation de la Foi: « Une lettre de Hong-Kong (Chine), en date du 24 juillet 1832, nous annonce que M. Bonnard, missionnaire du Tong-King, a été décapité pour la foi, le 1er mai dernier. Ce nouveau martyr était né dans le diocèse de Lyon et appartenait à la Société des Missions étrangères. Il était parti pour le Tong-King en 1849.»

I

Ô saint prêtre! grande âme! oh! je tombe à genoux!
Jeune, il avait encor de longs jours parmi nous,
…….Il n'en a pas compté le nombre;
Il était à cet âge où le bonheur fleurit;
Il a considéré la croix de Jésus-Christ
…….Toute rayonnante dans l'ombre.

Il a dit : « C'est le Dieu de progrès et d'amour.
Jésus, qui voit ton front croit voir le front du jour.
…….Christ sourit à qui le repousse.
Puisqu'il est mort pour nous, je veux mourir pour lui ;
Dans son tombeau, dont j'ai la pierre pour appui,
…….Il m'appelle d'une voix douce.

»Sa doctrine est le ciel entr'ouvert ; par la main,
Comme un père l'enfant, il tient le genre humain;
…….Par lui nous vivons et nous sommes;
Au chevet des geôliers dormant dans leurs maisons,
Il dérobe les clefs de toutes les prisons
…….Et met en liberté les hommes.

» Or il est, loin de nous, une autre humanité
Qui ne le connaît point, et dans l'iniquité
…….Rampe enchaînée, et souffre et tombe;
Ils font pour trouver Dieu de ténébreux efforts;
Ils s'agitent en vain ; ils sont comme des morts
…….Qui tâtent le mur de leur tombe.

» Sans loi, sans but, sans guide, ils errent ici-bas.
Ils sont méchants, étant ignorants; ils n'ont pas
…….Leur part de la grande conquête.
J'irai. Pour les sauver je quitte le saint lieu.
Ô mes frères, je viens vous apporter mon Dieu,
…….Je viens vous apporter ma tête!»

Prêtre, il s'est souvenu, calme en nos jours troublés,
De la parole dite aux apôtres: —Allez,
…….Bravez les bûchers et les claies! —
Et de l'adieu du Christ au suprême moment:
—Ô vivant, aimez-vous! aimez. En vous aimant,
…….Frères, vous fermerez mes plaies. —

Il s'est dit qu'il est bon d'éclairer dans leur nuit
Ces peuples égarés loin du progrès qui luit,
…….Dont l'âme est couverte de voiles;
Puis il s'en est allé, dans les vents, dans les flots,
Vers les noirs chevalets et les sanglants billots,
…….Les yeux fixés sur les étoiles.

II

Ceux vers qui cet apôtre allait l'ont égorgé.

III

Oh ! tandis que là-bas, hélas! chez ces barbares,
S'étale l'échafaud de tes membres chargé,
Que le bourreau, rangeant ses glaives et ses barres,
Frotte au gibet son ongle où ton sang s'est figé;

Ciel ! tandis que les chiens dans ce sang viennent boire,
Et que la mouche horrible, essaim au vol joyeux,
Comme dans une ruche entre en ta bouche noire
Et bourdonne au soleil dans les trous de tes yeux;

Tandis qu'échevelée, et sans voix, sans paupières,
Ta tête blême est là sur un infâme pieu,
Livrée aux vils affronts, meurtrie à coups de pierres,
Ici, derrière toi, martyr, on vend ton Dieu!

Ce Dieu qui n'est qu'à toi, martyr, on te le vole!
On le livre à Mandrin, ce Dieu pour qui tu meurs!
Des hommes, comme toi revêtus de l'étole,
Pour être cardinaux, pour être sénateurs,

Des prêtres, pour avoir des palais, des carrosses,
Et des jardins l'été riant sous le ciel bleu,
Pour argenter leur mitre et pour dorer leurs crosses,
Pour boire de bon vin, assis près d'un bon feu,

Au forban dont la main dans le meurtre est trempée,
Au larron chargé d'or qui paye et qui sourit,
Grand Dieu ! retourne-toi vers nous, tête coupée!
Ils vendent Jésus-Christ ! ils vendent Jésus-Christ!

Ils livrent au bandit, pour quelques sacs sordides,
L'évangile, la loi, l'autel épouvanté,
Et la justice aux yeux sévères et candides,
Et l'étoile du coeur humain, la vérité!

Les bons jetés, vivants, au bagne, ou morts, aux fleuves,
L'homme juste proscrit par Cartouche Sylla,
L'innocent égorgé, le deuil sacré des veuves,
Les pleurs de l'orphelin, ils vendent tout cela!

Tout ! la foi, le serment que Dieu tient sous sa garde,
Le saint temple où, mourant, tu dis : Introïbo,
Ils livrent tout! pudeur, vertu! —martyr, regarde,
Rouvre tes yeux qu'emplit la lueur du tombeau; —

Ils vendent l'arche auguste où l'hostie étincelle!
Ils vendent Christ, te dis-je ! et ses membres liés!
Ils vendent la sueur qui sur son front ruisselle,
Et les clous de ses mains, et les clous de ses pieds!

Ils vendent au brigand qui chez lui les attire
Le grand crucifié sur les hommes penché;
Ils vendent sa parole, ils vendent son martyre,
Et ton martyre à toi par-dessus le marché!

Tant pour les coups de fouet qu'il reçut à la porte!
César ! tant pour l'amen, tant pour l'alleluia!
Tant pour la pierre où vint heurter sa tête morte!
Tant pour le drap rougi que sa barbe essuya!

Ils vendent ses genoux meurtris, sa palme verte,
Sa plaie au flanc, son oeil tout baigné d'infini,
Ses pleurs, son agonie, et sa bouche entrouverte,
Et le cri qu'il poussa: Lamma Sabacthani!

Ils vendent le sépulcre! ils vendent les ténèbres!
Les séraphins chantant au seuil profond des cieux,
Et la mère debout sous l'arbre aux bras funèbres,
Qui, sentant là son fils, ne levait pas les yeux!

Oui, ces évêques, oui, ces marchands, oui, ces prêtres
A l'histrion du crime, assouvi, couronné,
A ce Néron repu qui rit parmi les traîtres,
Un pied sur Thraséas, un coude sur Phryné,

Au voleur qui tua les lois à coups de crosse,
Au pirate empereur Napoléon dernier,
Ivre deux fois, immonde encor plus que féroce,
Pourceau dans le cloaque et loup dans le charnier,

Ils vendent, ô martyr, le Dieu pensif et pâle
Qui, debout sur la terre et sous le firmament,
Triste et nous souriant dans notre nuit fatale,

Sur le noir Golgotha saigne éternellement!

Jersey, Décembre 1852.

Saturday, 21 June 2008

BOOK I, 'Society Saved' 7: Ad Majorem Dei Gloriam

Truly, ours is a strangely fastidious century. Does it imagine that the ashes of the stake are totally extinguished? That there isn’t the tiniest ember to light up a single torch? Those madmen! And we who are called Jesuits, they believe they cover us with opprobrium? But we Jesuits reserve censure to ourselves, the gag and the fire … and one day we will be the masters of their masters. [Father Roothaan, (Jesuit General), at the conference of Chiéri.]

They’ve admitted it: “Victory, power and success!
Soldiers by tactic, priests only in dress,
We’ll smash-up Law, Progress, Good, Talent and Right.
We’ll build us a fortress with all of that rubble
And guard it too—our black attack-dogs are trouble
They're called Prejudice: boy, are they hot for the fight.

Yes: the Gibbet is good; War is Necessary;
You must accept ignorance—and misery;
Hell waits for the proud, puffed-up tribune of truth;
Man’s route to the angels is via—the vulture.
Our rule will make use of strong force to stop culture
It’ll censor the father, and dumb-down the youth.

Our word, ultra-hostile to this age and nation,
Falls like snow from the pulpit on our congregation;
It chills all irresolute, changeable hearts,
And nips in the bud good or salutary thoughts:
Then it melts all away, just like snow on the ground,
So that when it is looked for, it cannot be found.

We leave only cold for those souls we inspire
Because we'll already have quenched all the fire
And if anyone cries out, on this future day
Save Liberty—your fathers all fought for it once!
They will laugh, these new French, as they leave our salons
Laugh at liberty dead and their folks passed away.

Priests, we’ll have one high-hoist banner inscribed:
Order, Propriety, Faith, Family-Pride
What's more, should a bandit, Jew, Corsair or Pagan
Come offer us aid—one who’s perjured and lied
Dirk in mouth, torch in hand, all bloody and wild,
To steal and to kill—we’ll say ‘that’s just the way, man!’

When our victory's done, inside our mighty stronghold
We’ll live arrogant, venerated—and we’ll be strong, bold:
Giving due to Christ Jesus or Allah or—Mithras!
Power is our god; our method is gagging.
If no-one down here hears us laugh, heads a-wagging,
It'll still give mankind’s hidden heart the jitters.

We’ll garrotte the soul in the depths of our cavern
What of nation, the ‘dream’ of the people we govern?
That’s the monk of old Spain, the Egyptian Fellaheen.
Down with Soul! Down with Right! And long live the sword!
And what is free-thinking? A stray dog, that’s all
Chain up Jean-Jacques, slam Voltaire—lock all those fellows in.

If Spirit asks questions—we’ll block up its airholes!
We’ll murmur, seductively in ladies' earholes.
We’ll have prison ships, Africa, SS The Spielberg.
Though ‘burn-em-alive’ is old hat—we’ll renew it!
Though not to burn people—to throw books on to it
Because of Jean Huss we’ll burn all the Gutenbergs.

And as for Man’s Reason, that dares to judge Rome
The flame that God lit up inside Man’s skullbone
That shone inside Socrates, haloed Jesus about—
Well ... like a thief that creeps slinking at night
Who, when he breaks in, starts by snuffing the light
Behind us, all furtively, we’ll just blow it out.

The soul of mankind will be dark—black, profound—
In the heart’s empty vacuum true power is found
And we will do all that we want—on the quiet!
Not a whisper, no rustling of wings, not a knell
No one movement in shadows; and our citadel
Will be towering and massy, more black than the night.

We will reign; the mud was shaped by the wave
We'll be omni-potent; the globe as our slave
We will possess everything: strength, fame, accord.
And nothing will frighten us, not faith, nor these rules
—For when you inhabit the mountain of eagles
I will pluck you out of there, saith the Lord.

AD MAJOREM DEI GLORIAM

«Vraiment, notre siècle est étrangement délicat. S'imagine-t-il donc que la cendre des bûchers soit totalement éteinte ? qu'il n'en soit pas resté le plus petit tison pour allumer une seule torche ? Les insensés ! en nous appelant jésuites, ils croient nous couvrir d'opprobre ! Mais ces jésuites leur réservent la censure, un bâillon et du feu... Et, un jour, ils seront les maîtres de leurs maîtres... » [LE PERE ROOTHAAN, GÉNÉRAL DES JÉSUITES, A LA CONFÉRENCE DE CHIÉRI]

Ils ont dit : «Nous serons les vainqueurs et les maîtres.
Soldats par la tactique et par la robe prêtres,
Nous détruirons progrès, lois, vertus, droits, talents.
Nous nous ferons un fort avec tous ces décombres,
Et pour nous y garder, comme des dogues sombres,
Nous démusèlerons les préjugés hurlants.

» Oui, l'échafaud est bon; la guerre est nécessaire;
Acceptez l'ignorance, acceptez la misère;
L'enfer attend l'orgueil du tribun triomphant;
L'homme parvient à l'ange en passant par la buse.
Notre gouvernement fait de force et de ruse
Bâillonnera le père, abrutira l'enfant.

» Notre parole, hostile au siècle qui s'écoule,
Tombera de la chaire en flocons sur la foule
Elle refroidira les coeurs irrésolus,
Y glacera tout germe utile ou salutaire,
Et puis elle y fondra comme la neige à terre,
Et qui la cherchera ne la trouvera plus.

Seulement un froid sombre aura saisi les, âmes;
Seulement nous aurons tué toutes les flammes
Et si quelqu'un leur crie, à ces français d'alors
Sauvez la liberté pour qui luttaient vos pères!
Ils riront, ces français sortis de nos repaires,
De la liberté morte et de leurs pères morts.

«Prêtres, nous écrirons sur un drapeau qui brille
- Ordre, Religion, Propriété, Famille. -
Et si quelque bandit, corse, juif ou payen,
Vient nous aider avec le parjure à la bouche,
Le sabre aux dents, la torche au poing, sanglant, farouche
Volant et massacrant, nous lui dirons : c'est bien!

«Vainqueurs, fortifiés aux lieux inabordables,
Nous vivrons arrogants, vénérés, formidables.
Que nous importe au fond Christ, Mahomet, Mithra!
Régner est notre but, notre moyen proscrire.
Si jamais ici-bas on entend notre rire,
Le fond obscur du coeur de l'homme tremblera.

» Nous garrotterons l'âme au fond d'une caverne.
Nations, l'idéal du peuple qu'on gouverne,
C'est le moine d'Espagne ou le fellah du Nil.
A bas l'esprit! à bas le droit! vive l'épée!
Qu'est-ce que la pensée ? une chienne échappée.
Mettons Jean-Jacque au bagne et Voltaire au chenil.

» Si l'esprit se débat, toujours nous l'étouffâmes.
Nous parlerons tout bas à l'oreille des femmes.
Nous aurons les pontons, l'Afrique, le Spielberg.
Les vieux bûchers sont morts, nous les ferons revivre
N'y pouvant jeter l'homme, on y jette le livre;
A défaut de Jean Huss, nous brûlons Gutenberg.

» Et quant à la raison, qui prétend juger Rome,
Flambeau qu'allume Dieu sous le crâne de l'homme,
Dont s'éclairait Socrate et qui guidait Jésus,
Nous, pareils au voleur qui se glisse et qui rampe,
Et commence en entrant par éteindre la lampe,
En arrière et furtifs, nous soufflerons dessus.

« Alors dans l'âme humaine obscurité profonde.
Sur le néant des coeurs le vrai pouvoir se fonde.
Tout ce que nous voudrons, nous le ferons sans bruit.
Pas un souffle de voix, pas un battement d'aile
Ne remuera dans l'ombre, et notre citadelle
Sera comme une tour plus noire que la nuit.

» Nous régnerons. La tourbe obéit comme l'onde.
Nous serons tout-puissants, nous régirons le monde
Nous posséderons tout, force, gloire et bonheur;
Et nous ne craindrons rien, n'ayant ni foi ni règles...
- Quand vous habiteriez la montagne des aigles,
Je vous arracherais de là, dit le Seigneur!

Jersey. Novembre 1852.

Thursday, 19 June 2008

BOOK I, 'Society Saved' 6: The Te Deum of January 1st 1852

Priest, this, your mass—it's an impious thing
.....It echoes death-squads.
Behind you, his arms folded under his chin,
.....Laughing, Death squats.

Priest, look to the heavens (where we come from)
.....Virgins and angels
Shudder at a bishop taking the fuse of a canon
.....To light his candles.

You want to be senator? Get yourself poshed-up?
.....Grab yourself gold?
OK: but, man, at least wait til they’ve washed up
.....The pavement and road.

People, praise Gessler! Let William Tell die!
.....A moan leaves the organ.
Archbiship, here’s how we built your altar high—
.....Piled slabs from the morgue on.

Te Deum! you sing—but you’re praising yourselves,
.....Military Sundays!—
Mixing church incense with something that smells
.....Of open mass-graves.

Slaughtered by night, and slaughtered by day,
.....Women, children and men!
Death and grief! Once were eagles—now vultures at prey
.....Perched on Notre-Dame.

Go, lavish your adorations on that coward;
.....(Martyrs, you knew the worst).
God sees, and your blessings, although they're aimed upward,
.....O Priest—they’re accursed.

The exiles have gone; inside the black pontoon
.....To Algeria, Cayenne. As
Once they saw Paris's Bonaparte, now soon
.....They'll see hyenas.

Workingmen, peasants, snatched from your birthright
.....Exile has cleft you!
So: Archbishop Sibour: please look to the right
.....And look to the left too.

Your Deacon there? Treason. Your Curate? He's Robber:
.....Sell God, sell your spirit!
Go on, wear your mitre, slip into that halter
.....Sing, you wicked prelate!

Murder’s moved in next-door to your Church, crying
.....‘They move? Shoot ’em dead!’
Satan holds the flask; and it is not with wine
.....That your cup is red.


6 - Le TE DEUM du ler janvier 1852

Prêtre, ta messe, écho des feux de peloton,
.....Est une chose impie.
Derrière toi, le bras ployé sous le menton,
.....Rit la mort accroupie.

Prêtre, on voit frissonner, aux cieux d'où nous venons,

.....Les anges et les vierges
Quand un évêque prend la mèche des canons
.....Pour allumer les cierges.

Tu veux être au sénat, voir ton siège élevé

.....Et ta fortune accrue;
Soit; mais pour bénir l'homme, attends qu'on ait lavé
.....Le pavé de la rue.

Peuples, gloire à Gessler! meure Guillaume Tell!

.....Un râle sort de l'orgue.
Archevêque, on a pris, pour bâtir ton autel,
.....Les dalles de la morgue.

Quand tu dis : - Te Deum! Nous vous louons, Dieu fort!

.....Sabaoth des années!
Il se mêle à l'encens une vapeur qui sort
.....Des fosses mal fermées.

On a tué, la nuit, on a tué, le jour,

.....L'homme, l'enfant, la femme!
Crime et deuil ! Ce n'est plus l'aigle, c'est le vautour
.....Qui vole à Notre-Dame.

Va, prodigue au bandit les adorations;

.....Martyrs, vous l'entendîtes!
Dieu te voit, et là-haut tes bénédictions,
.....O prêtre, sont maudites !

Les proscrits sont partis, aux flancs du ponton noir,

.....Pour Alger, pour Cayenne;
Ils ont vu Bonaparte à Paris, ils vont voir
.....En Afrique l'hyène.

Ouvriers, paysans qu'on arrache au labour,

.....Le sombre exil vous fauche!
Bien, regarde à ta droite, archevêque Sibour,
.....Et regarde à ta gauche.

Ton diacre est Trahison et ton sous-diacre est Vol.

.....Vends ton Dieu, vends ton âme.
Allons, coiffe ta mitre, allons, mets ton licol,
.....Chante, vieux prêtre infâme !

Le meurtre à tes côtés suit l'office divin,

.....Criant: feu sur qui bouge!
Satan tient la burette, et ce n'est pas de vin
.....Que ton ciboire est rouge.
Bruxelles, 3 janvier 1852

Wednesday, 18 June 2008

BOOK I, 'Society Saved' 5: That Night

Three friends met together inside the Elysée.
Light gleamed from their crucifix-necklaces, sleazy;
All watching the clock, the second-hand twitching.
He was there, deep in thought, still dreaming of fixing
The Bonaparte name to the work of the Bullet,
He gropes for the coming coup’s trigger, to pull it.
As vaguely he prods the hearth ash with his toe
This Man for All Treasons spills out his words, so:
“Tonight is when my secret dreams all come true.
It’ll be Saint Bartholomew’s Massacre II!
All Paris asleep, like in Charles de Valois’s day
Bung all the Laws in a sack and throw all away
Go to the bridge on the Seine and just chuck ’em!”—
Ruffians! Bastards of an obscene Luck—shame
Gave you birth, spawn of Intrigue and wicked Fate.
My verse won't spare you your crimes or your hate!
And the stormy heart locked in my chest just roars! It’s
A tempest-blown oak in the heart of the forest!

All three of them stepped out from Maison Bancal
Greek Maupas and Morny and Saint-Arnaud-Jackal
Watching them slink away, crafty and taciturn,
Paris’s bell-towers tolled their hourly nocturne
As if sounding the warning, metal mouths clashing
July's very paving-stones cried out: assassins!
And ghosts, all still bloody from their antique murders
Rose up, aimed their fingers at these truth-perverters;
That heavenly queen of all songs—Marseillaise—
Was singing Aux armes, citoyens! in the skies!
But Paris slept on; and soon, in every square
On all quays, the drilled rabble appeared everywhere.
Janissaries led by Reybell and Saubol,
Paid like Constantinople, drunk like Istanbul,
Men of Dulac, and Men of Korte and Espinasse,
With guns at their sides and their eyes full of menace
They came: troops and troops of them marching tiptoe
All past the long houses, all quiet and slow,
Steps muffled, like jungle-bred tigers at play
They slink on their stomachs, claws ready to slay.
Through night dark and gloomy, Paris lay supine
A drowsy old eagle snagged in the net’s twine.

The leaders awaited the dawn; smoked cigars.

O Cossacks! Thieves! Drivers! Routiers! Bulgars!
O you Brigand-Generals! Hard grind—let’s be fair!
In the olden days Judges tried crimes less severe:
Burnt alive vile Voisin, flogged to death dire Desrues.

Posting notice on street corners (look: it’s bad news)
These daring rogues armed themselves now for the fight
Day broke. That accomplice of bandits, the night,
Fled away, dragging her veil as she ran offstage fast,
In the folds of her dress she made off with the stars
And a thousand suns scintillated in her shadows
Like sequins of gold that she shakes out as she goes
A girl, she stole criminal kisses before
And afterwards found herself dressed as a whore.


5 - CETTE NUIT-LÀ
Trois amis l'entouraient. C'était à l'Elysée,
On voyait du dehors luire cette croisée.
Regardant venir l'heure et l'aiguille marcher,
Il était là, pensif ; et, rêvant d'attacher
Le nom de Bonaparte aux exploits de Cartouche,
Il sentait approcher son guet-apens farouche.
D'un pied distrait dans l'âtre il poussait le tison,
Et voici ce que dit l'homme de trahison:
—«Cette nuit vont surgir mes projets invisibles.

Les Saint-Barthélemy sont encore possibles.
Paris dort comme aux temps de Charles de Valois;
Vous allez dans un sac mettre toutes les lois,
Et par-dessus le pont les jeter dans la Seine.»
Ô ruffians! bâtards de la fortune obscène,
Nés du honteux coït de l'intrigue et du sort!
Rien qu'en songeant à vous, mon vers indigné sort
Et mon cœur orageux dans ma poitrine gronde
Comme le chêne au vent dans la forêt profonde!

Comme ils sortaient tous trois de la maison Bancal,
Morny, Maupas le Grec, Saint-Arnaud le chacal,
Voyant passer ce groupe oblique et taciturne,
Les clochers de Paris, sonnant l'heure nocturne,
S'efforçaient vainement d'imiter le tocsin;
Les pavés de Juillet criaient à l'assassin!
Tous les spectres sanglants des antiques carnages,
Réveillés, se montraient du doigt ces personnages;
La Marseillaise, archange aux chants aériens,
Murmurait dans les cieux : Aux armes, citoyens!
Paris dormait. hélas! et bientôt, sur les places,
Sur les quais, les soldats, dociles populaces,
Janissaires conduits par Reybell et Sauboul,
Payés comme à Byzance, ivres comme à Stamboul,
Ceux de Dulac, et ceux de Korte et d'Espinasse,
La cartouchière au flanc et dans l'œil la menace,
Vinrent, le régiment après le régiment,
Et le long des maisons ils passaient lentement,
À pas sourds, comme on voit les tigres dans les jongles
Qui rampent sur le ventre en allongeant leurs ongles;
Et la nuit était morne, et Paris sommeillait
Comme un aigle endormi pris sous un noir filet.
.
Les chefs attendaient l'aube en fumant leurs cigares.
.
Ô Cosaques! voleurs! chauffeurs! routiers! Bulgares!
Ô généraux brigands ! bagne, je te les rends!
Les juges d'autrefois pour des crimes moins grands
Ont brûlé la Voisin et roué vif Desrues!

.
Eclairant leur affiche infâme au coin des rues
Et le lâche armement de ces filous hardis,
Le jour parut. La nuit, complice des bandits,
Prit la fuite, et traînant à la hâte ses voiles,
Dans les plis de sa robe emporta les étoiles,
Et les mille soleils dans l'ombre étincelant,
Comme les sequins d'or qu'emporte en s'en allant
Une fille, aux baisers du crime habituée,
Qui se rhabille après s'être prostituée!

Bruxelles. Janvier 1852